Père de la pilule abortive et défenseur de la liberté des femmes à avoir recours à une interruption volontaire de grossesse, Étienne-Émile Baulieu fut toute sa vie un chercheur engagé en faveur des droits reproductifs. Avec sa disparition, la Nation perd un grand scientifique, un destin français devenu le visage d’un combat universel pour le progrès.

Né le 12 décembre 1926 à Strasbourg, celui qui s’appelait alors Etienne Blum, très vite orphelin de son père, un pionnier de l’insulinothérapie, fut élevé par sa mère, avocate et féministe. De cette enfance singulière germa la promesse d’un destin au service de la science et des femmes. Étienne Blum fit ses classes à Grenoble puis à Neuilly, avant que la Seconde Guerre mondiale ne le pousse à entrer en Résistance. Engagé au sein des jeunesses communistes FTP, il prit le maquis, et avec lui le nom d’Émile Baulieu qui ne le quitta plus. Au sein du bataillon Foges, il aida notamment la libération de la vallée de la Tarentaise. Revenu aux bancs de la faculté de médecine, il fit la rencontre déterminante de Max Fernand Jayle, qui aida ses premières recherches en endocrinologie. Avec lui, il mena des découvertes importantes sur les stéroïdes et les modes de sécrétion de la prastérone, ou DHEA, hormone active dans le processus de vieillissement.

Docteur en médecine en 1955 et docteur ès sciences en 1963, agrégé de biochimie, Etienne-Emile Baulieu fut repéré par Seymour Liebermann qui l’invita à New York, où il fit la rencontre de Gregory Pincus, inventeur de la première pilule contraceptive orale. Devenu un scientifique écouté, spécialiste des hormones, il plaida pour la légalisation de la pilule contraceptive actée par la loi Neuwirth de 1967. Etienne-Emile Baulieu déclina plusieurs postes aux États-Unis, pour créer en 1970 l'unité 33 de l'INSERM dont il prit la direction au CHU Kremlin-Bicêtre. Dans son bureau s’affichaient pêle-mêle le portrait de ses maîtres, ses souvenirs de voyage, et un cœur Niki de Saint-Phalle : foisonnement à l’image de sa curiosité.

 Dans les années 1980, au sein du groupe Roussel-Uclaf, il mit au point la production de mifépristone, ou RU-486, stéroïde synthétique permettant l'avortement chimique de la grossesse. Cette alternative médicamenteuse, sûre et peu onéreuse, à l’IVG chirurgicale provoquait l’avortement dès lors qu’elle était prise dans les sept semaines d'aménorrhée. La nouvelle anti-hormone lui valut une célébrité mondiale et une profonde hostilité des milieux les plus conservateurs. Elle changea surtout la vie de générations de femmes à travers le monde. Étienne-Émile Baulieu reçut le prix Lasker en 1989.

En juin 2008, il créa l'Institut Baulieu pour comprendre, soigner et prévenir les maladies neurodégénératives. Ses recherches sur la protéine TAU, quelques années auparavant, avaient permis de mieux comprendre le rôle que pouvait jouer l’immunophiline FKBP52, autre protéine cérébrale, dans le traitement des tauopathies liées à la maladie d’Alzheimer. Lui qui avait tant reçu de ses maîtres gardait un attachement profond à l’enseignement. Et faisait l’admiration de ses élèves, à la Faculté de médecine Paris-Sud comme au Collège de France. Reconnu de ses pairs, il prit en 1982 l’habit vert, et présida en 2003 l’Académie des sciences.

Jusqu’à un âge avancé, il continua de se rendre à son laboratoire, au volant de l’Austin mini qu’il conduisait partout. Esprit fécond et chercheur inlassable, il croyait à la science et disait de lui-même avoir « toujours essayé de combiner la science et le progrès, les applications utiles au bien-être de l'Homme ». De ce même combat, il était membre du Comité d’honneur de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité.

Le 8 mars 2023, journée internationale des droits des femmes, il fut élevé à la dignité de Grand-croix de la Légion d'honneur. Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’un chercheur engagé et d’une conscience française, universelle, éclaireur et passeur de progrès. Ils adressent leurs condoléances à son épouse Simone, à ses proches, et à celles et ceux qui l’aimaient. 

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